Claude Lévi-Strauss a proposé une « formule canonique », selon laquelle « tout mythe (considéré comme l'ensemble de ses variantes) est réductible à une relation canonique du type : fx(a) : fy(b) :: fx(b) : fa-1(y) (dans laquelle, deux termes et deux fonctions étant donnés simultanément, on pose qu'une relation d'équivalence existe entre deux situations où les termes et les relations sont inversés, sous deux conditions : 1° qu'un des termes soit remplacé par son contraire ; 2° qu'une inversion se produise entre la valeur de fonction et la valeur de terme de deux éléments » (« every myth (considered as the collection of all its variants) corresponds to a formula of the following type: fx(a) : fy(b) :: fx(b) : fa-1(y) (where, two terms being given as well as two functions of these terms, it is stated that a relation of equivalence still exists between two situations when terms and relations are inverted, under two conditions: 1. that one term be replaced by its contrary; 2. that an inversion be made between the function and the term value of two elements » ; Lévi-Strauss 1955 : 442-443).
Il est à noter que cette formule permet d’articuler le motif où Orion est un homme poursuivant les Pléiades et un autre motif, lui aussi sans doute antérieur à la sortie d’Afrique (Berezkin 2013 : 148-149 ; d’Huy 2017a), qui raconte qu’« un homme se rend dans un village de femmes ; il doit satisfaire chaque femme contre sa volonté ou une femme le revendique pour elle seule ». Dans le premier cas, les femmes forment un groupe de femmes fuyant devant Orion ; dans le deuxième cas, un groupe de femmes solidaires s’empare d’un homme, qui devient leur conjoint et qui, cédant à l’excès de volonté féminine, présente un défaut de virilité. Cette relation prend la forme : F adversaire agressif (homme) : F partenaire pacifique (femmes) :: F adversaire agressif (femmes) : F homme-1 (conjoint pacifique), ce qui se lit : la fonction « adversaire agressif » de l’homme est à la fonction « partenaires pacifiques » des femmes ce que la fonction « adversaire agressif » des femmes est à la fonction « homme-1 » du conjoint pacifique.
La même formule canonique permet de rendre compte du passage, en Eurasie centrale, du récit où Orion pourchasse les Pléiades à un récit où la constellation de la Grande Ourse représente un ongulé, poursuivi par un chasseur, et à un autre récit où trois étoiles de la Ceinture d’Orion sont trois personnes ou trois animaux qui se poursuivent les uns les autres. Le rapport unissant ces mythes serait le suivant : F discontinu (chasseur) : F continu (poursuivi) :: F discontinu (poursuivi) : F prédateur et proie (un groupe d’individus), ce qui se lit : la fonction « discontinue » du chasseur (Orion) est à la fonction « continue » du poursuivi (Pléiades) ce que la fonction « discontinue » du poursuivi (la Grande Ourse comme ongulé unique) est à la fonction simultanément « proie » et « chasseur » (soit « chasseur »-1) d’un groupe d’individus (Ceinture d’Orion).
Si dans d’Huy 2016, j’avais considéré que l’association d’Orion et de la Chasse cosmique était sans doute plus tardive que l’association de la Grande Ourse et de la Chasse cosmique, l’application de la formule canonique suggère une apparition simultanée des deux récits, peut-être primitivement unis à l’intérieur d’une même narration, suivi d’une disjonction, le second récit connaissant longtemps un succès moindre.
Une possibilité pour expliquer cette différence de diffusion pourrait résider dans l’impossibilité, pour les premiers amérindiens, d’observer la constellation d’Orion au niveau du détroit de Béring, lors du premier peuplement de l’Amérique du Nord, autour de -17 000 ans (selon une idée de Marc Thuillard, publiée dans Thuillard et al. 2018) ; si l’on accepte cette hypothèse, la seule possibilité pour rendre compte de la diffusion australe du mythe d’Orion poursuivant les Pléiades serait de vieillir la date du premier peuplement des Amériques, ou d’admettre une diffusion par voie maritime… ce qui rend, de facto, la reconstruction vérifiable par des preuves archéologiques.
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